Sécuriser les récoltes face à la sécheresse : le rôle de l’assurance indicielle

Dans le cadre du programme Fermier 2.0 (F2.0) porté par ADA, la Compagnie nationale d’assurance agricole du Sénégal (CNAAS) et l’insurtech IBISA collaborent pour proposer un produit d’assurance indicielle basé sur la pluviométrie et destiné aux petits exploitants agricoles. Awa Constance Touré (CNAAS) et Jérémy Lefevre (IBISA) expliquent les enjeux et les bénéfices de cette initiative.
Quel est le rôle de vos organisations dans ce projet ?
Awa Constance Touré (ACT) - CNAAS :
La CNAAS est la seule compagnie spécialisée dans la couverture des risques agricoles au Sénégal. Nous sommes une référence dans la sous-région. Avec ADA, nous avons déjà collaboré pour faciliter l’accès de nouvelles institutions financières à l’assurance agricole. Cette nouvelle phase vise à développer un produit indiciel spécifiquement destiné aux producteurs accompagnés via la plateforme F2.0.
Jérémy Lefevre (JL) - IBISA :
IBISA est une insurtech climatique spécialisée dans la conception de produits d’assurances paramétriques basés sur l’analyse de données satellitaires. Nous concevons les produits, calculons les indemnisations via notre plateforme digitale et accompagnons leur mise en œuvre opérationnelle. Avec ADA et la CNAAS, nous assurons ensemble une distribution efficace en lien direct avec les producteurs.
En quoi cette assurance indicielle est-elle innovante ?
ACT : Ce produit permet d’indemniser automatiquement les producteurs si la pluie est insuffisante pendant une période critique. En outre, grâce à la plateforme F2.0, nous disposons de données beaucoup plus détaillées qu’auparavant : nous connaissons le nombre exact de producteurs concernés, leur part dans le financement et nous pouvons suivre en temps réel les souscriptions ainsi que les paiements d’indemnisation.
JL : L’assurance paramétrique offre une indemnisation rapide, objective et transparente, en s’appuyant sur des données climatiques vérifiables. Tout est automatisé. Dès que le seuil de déficit de précipitation défini à l'avance est atteint, l'indemnisation est déclenchée, sans qu’aucune réclamation ne soit nécessaire.
Elle est généralement plus accessible que l’assurance traditionnelle, car elle limite les frais liés aux expertises de terrain.
Pour les petits producteurs, cela se traduit par un soutien rapide après un événement climatique, sans démarches administratives complexes ni délais prolongés.
Quels sont les défis rencontrés dans le déploiement de ce type de produit ?
ACT : Le manque de visibilité reste un frein. Certaines institutions financières hésitent encore à s’engager, malgré les avantages. Et pour les producteurs, l’assurance est encore perçue comme une dépense. Ce projet leur permettra de comparer concrètement leur situation avec ou sans assurance, et de mieux comprendre sa valeur.
JL : Pour de nombreux petits producteurs, l’assurance reste une notion abstraite. Les attentes peuvent être déconnectées de la réalité : contribuer peu, mais espérer des indemnisations importantes. Il est donc essentiel de clarifier ce que l’assurance peut — ou ne peut pas — couvrir, et de démontrer sa valeur, même lors des années sans sinistre.
Comment adaptez-vous cette solution aux réalités locales ?
JL : L’assurance paramétrique est très flexible. Elle peut être adaptée aux conditions climatiques locales comme la pluviométrie ou la chaleur, et aux cycles des cultures. Nous travaillons en étroite collaboration avec des partenaires locaux pour identifier les bons indicateurs, tester les modèles, ajuster les seuils de déclenchement. Cette co-construction est essentielle pour que le produit soit réellement utile.
Comment voyez-vous l’avenir de l’assurance indicielle ?
ACT : L’État du Sénégal investit beaucoup dans les campagnes agricoles. Intégrer l’assurance dans ces financements permettrait de sécuriser davantage ces investissements publics. Avec l’augmentation des incertitudes climatiques, l’assurance agricole devient une nécessité. Il faut la considérer comme un intrant.
JL : L’avenir de l’assurance climatique passe par son intégration fluide dans les services agricoles ou financiers existants. Des initiatives comme F2.0 offrent un cadre idéal pour ce type d’intégration. Elle doit être rapide à activer, s’appuyer sur des données ouvertes, pour garantir la transparence, instaurer la confiance et maximiser son impact.